La Morrigan doit mourir, cela ne fait aucun doute. Mais d’abord, Wyn et ses gardiens doivent la retrouver.
Alors que le royaume se prépare à la guerre, des alliés arrivent d’endroits inattendus. Mais des ennemis se cachent à la vue de tous et pourraient mettre un terme à la guerre avant même qu’elle n’ait commencé.
Wyn pourra-t-elle détruire la Morrigan sans sacrifier la vie de ceux qu’elle aime ?
Le troisième livre de la série La Fille de l’Hiver, une romance de type harem inversé pleine d’hommes protecteurs, d’une héroïne forte, de mythologie celtique, de kilts, d’accents écossais, et même d’une licorne.
Cette série doit être lue dans l’ordre, aussi, si vous ne connaissez pas encore La Fille de l’Hiver, commencez par La Princesse de l’Hiver.
On dit que le chagrin passe. On dit que la douleur s’atténue.
Eh bien, je ne veux pas qu’elle s’en aille. Je ne veux pas cesser d’avoir mal.
La douleur m’aide à fonctionner et à passer la journée. Et elle m’aide à me concentrer sur une chose : la vengeance.
Ma mère. Chesca. Et nous ne savons pas si mon père est encore en vie.
J’aimerais pouvoir dire que je le ressentirais s’il était mort, mais je suis tellement vide intérieurement que je ne pense pas que ce serait le cas. Je n’éprouve plus grand-chose. Dans mon cœur, il n’y a que des éclats et des fragments, rien d’autre qu’un chaos brisé.
La seule chose qui puisse me faire sentir un tant soit peu vivante, c’est la poussière de licorne de Blaze. Des sparklies, comme il dit. Je touche sa corne et je me sens mieux. Pendant un certain temps, au moins. Mes gardiens ont essayé de m’empêcher d’aller le voir, mais je les repousse ou je les évite. J’ai besoin d’oublier, au moins une fois par jour. Qu’y a-t-il d’autre que la mort et le désespoir ?
Une semaine s’est écoulée depuis ce jour horrible. Je ne peux rien faire. Ma mère discute avec ses alliés, ses compagnons dieux et déesses, tandis que le maître d’armes entraîne ses troupes. Mes hommes sont occupés à faire de même, se préparant à la bataille à venir.
Mais elle n’aura pas lieu si nous ne trouvons pas la Morrigan en premier. Elle se tapit dans l’ombre, elle se cache toujours. Comment combattre un fantôme ?
Comme je n’ai rien à faire, j’ai bien trop de temps pour réfléchir. Trop de temps pour me souvenir.
Blaze est le seul qui semble m’écouter. Le seul qui ne pose pas de questions idiotes comme comment vas-tu ? Vous voulez savoir comment je vais ? Atrocement mal. Je ne suis qu’une coquille vide, animée seulement par la vengeance. C’est tout ce qui me fait tenir. Sans cela, je resterais roulée en boule dans mon lit.
Ce qui ne veut pas dire que je ne l’ai pas fait aussi. J’ai passé beaucoup de temps dans ma chambre à fixer le plafond, ignorant les domestiques qui essayaient de venir m’apporter à manger. Je me sers de la magie pour verrouiller les portes de sorte que personne ne puisse me déranger. Pas même mes hommes.
Je me fiche de la nourriture. Si quelqu’un me donne quelque chose, je le mange, mais je ne ressens plus la faim.
Ma mère, ma si jolie mère. Je ne cesse de penser à sa douleur. Au fait que la Morrigan lui a tranché le bras. Qu’elle a planté un couteau dans son cœur. À cette douleur fulgurante qui l’a tuée. Ça se répète en boucle dans ma tête. Il n’y a pas d’images : il faisait trop sombre dans ce donjon pour y voir grand-chose. Ne restent que les émotions, la peur de ma mère, sa souffrance, l’angoisse de mon père. Ça ne s’arrête jamais, ça tourne en boucle, ça me rend dingue.
Et l’image de sa main coupée… il n’y a qu’une seule chose pour me sortir ça de la tête.
J’entre dans le trou menant à la maison de Blaze et j’attends que l’ascenseur magique me transporte en bas. J’ai un peu mal à la tête, mais je sais que la douleur disparaîtra lorsque j’aurai mes sparklies. C’est toujours le cas. Et, au moins, la douleur physique dans mon crâne est plus facile à supporter que la douleur mentale qui m’assaille chaque minute de chaque jour.
— Bienvenue, me dit Blaze.
Il est étendu sur un grand coussin violet, les pattes avant repliées sous le corps. Sa fourrure blanche est toujours aussi immaculée et sa corne brille légèrement. J’ai l’eau à la bouche en pensant à tous les sparklies qui m’attendent. Ils ne se mangent pas, mais j’ai l’impression qu’ils me nourrissent.
Je ne perds pas de temps en bavardages. Blaze sait pourquoi je suis ici. Je me fiche de savoir comment il va, ou ce qu’il a fait depuis que je l’ai vu hier après-midi. Je m’approche de lui et touche sa corne sans autre forme de procès.
La félicité m’envahit. Le bonheur vient ensuite. Je m’écroule au sol avec un large sourire tandis que la sensation de chaleur familière se répand dans ma poitrine, noyant les ténèbres qui s’y trouvent. Mes pensées deviennent floues et je soupire de soulagement. J’y suis presque. À ce moment où tout disparaît, et où mes souvenirs s’estompent. Ce moment où je peux vivre dans le présent sans être affectée par le passé. Ce moment où je peux simplement exister, sans tristesse, sans ce froid qui entoure mon cœur, sans la culpabilité que je porte au fond de moi.
Les sparklies se répandent dans mon corps et me réchauffent doucement. Ils sont doux et agréables. Je voudrais les sentir tout le temps. Je ne veux pas que cela s’arrête. Tout est si beau maintenant. Blaze scintille de partout, sa grotte brille et même mes mains sont pleines de paillettes arc-en-ciel. La vie est si belle quand la réalité nous échappe !
Comme toujours, cela se termine bien trop tôt. Le bonheur s’arrête sans prévenir et les ténèbres reviennent, s’accrochant à mon cœur. La pièce est froide et peu accueillante.
Non, j’ai besoin de plus ! Je ne veux pas de ce vide. J’ai besoin de couleur dans ma vie.
— Donne-m’en plus ! supplié-je Blaze.
Je tends la main vers sa corne, mais il se détourne avant que je puisse la toucher. Je me lève en titubant et je m’avance vers lui, mais il s’éloigne de moi et me regarde bizarrement.
— Princesse… murmure-t-il, mais il continue de reculer.
Non, j’en veux plus ! Il est l’un de mes sujets, il doit faire ce que je veux.
— Viens ici ! lui ordonné-je, et il écarquille les yeux.
Il semble tenté de faire un pas en avant, mais il secoue la tête.
— Non, tu n’es pas ma reine ! Je ne t’en donnerai pas plus, cela a assez duré !
Je grogne de frustration et je trébuche vers lui, mais pour chaque pas que je fais, il réussit à en faire deux en arrière. Cela ne fonctionnera pas, je suis trop instable sur mes pieds.
Avec un gémissement, je cherche ma magie. Je me fiche du pouvoir que j’en tire, je me contente de la lancer sur Blaze ; je veux qu’il reste immobile pour moi.
Il hennit de peur tandis qu’un cercle de flammes se forme autour de lui. En temps normal, cela me ferait arrêter, mais mon cœur est de glace, et même son regard effrayé ne l’atteint pas. Les flammes se reflètent dans ses pupilles sombres et écarquillées.
Cette fois, il ne bouge pas quand je m’approche de lui. Il est figé par le choc, ou peut-être parce qu’il va se brûler s’il fait le moindre pas dans n’importe quelle direction. Enfin je peux toucher sa corne ; au même moment, les flammes s’emparent de ma manche et commencent à la dévorer.
La félicité et le bonheur remplissent le vide à l’intérieur de moi, mélangés à une douleur que je n’arrive pas à situer. Normalement, il n’y a pas de douleur quand je pénètre dans le monde merveilleux des sparklies. Peut-être s’agira-t-il d’une nouvelle et bonne expérience ? Il y a parfois du plaisir dans la douleur.
Je me laisse tomber au sol, mon esprit se retire lentement, puis il ralentit. Calme. Inexistant.
La douleur est toujours là et m’empêche de lâcher prise complètement. Elle se renforce.
Je me roule en boule, me disant que cela fera disparaître la douleur. Parfois, se cacher du monde fonctionne. Mais pas cette fois-ci.
La félicité est repoussée par la douleur qui s’abat sur moi. Je hurle tant la souffrance est forte.
Je pourrais ouvrir les yeux pour voir d’où cela vient, mais les sparklies m’en empêchent. Ils sont toujours en moi, mais tandis qu’ils me rendent habituellement heureuse, aujourd’hui, ils ne semblent qu’accentuer la douleur.
C’est de pire en pire, et je ne m’arrête plus de hurler.
J’entends un autre cri, un écho peut-être, ou peut-être est-ce quelqu’un d’autre. Je me souviens vaguement que Blaze était là. Peut-être qu’il crie pour se moquer de moi ?
— Qu’est-ce qui se passe ici ? Oh non, Wyn !
Des voix, des jurons, des cris.
On me jette dans un bassin d’eau. Non, on me jette de l’eau dessus. Ou les deux ? C’est difficile à dire. Au moins, cela me permet d’avoir l’esprit un peu plus clair. Suffisamment pour savoir que la voix qui parle rapidement en arrière-plan est celle de Frost.
Un instant plus tard, je regrette que mon esprit s’éclaircisse. Une douleur intense s’éveille dans mon bras droit, jusqu’à l’épaule et au cou. Ça fait si mal, je vous en prie, faites que ça s’arrête. Je gémis et quelqu’un saisit ma main gauche et la serre de manière rassurante.
— Chut, Crispin sera bientôt là, murmure Frost et de l’eau coule sur moi, rafraîchissant un peu ma peau brûlante. Qu’est-ce que tu t’es fait, Wyn ? Non, n’essaie pas de bouger ! Blaze est allé chercher Crispin, ils ne vont pas tarder.
J’ai du mal à suivre ce qu’il dit. Crispin ? Pourquoi ai-je besoin de Crispin ? Oh ! La douleur… c’est peut-être à cause de ça ? Crispin est un guérisseur, il pourra peut-être m’aider. Pour la douleur dans mon corps et dans mon esprit. Ensuite, Blaze pourra me donner d’autres sparklies pour me faire oublier tout cela.
L’eau qui coulait sur ma peau disparaît, et, aussitôt, la douleur s’aggrave.
— N’arrête pas ! gémis-je d’une voix rauque.
— D’accord, mais dis-moi si tu as froid.
L’eau revient et rafraîchit ma peau brûlante. Cela ne fait pas disparaître la douleur, mais l’apaise légèrement. Je peux alors me concentrer sur une autre sensation, plus fraîche et plus agréable que les douleurs.
— Frost, murmuré-je.
— Oui, Wyn ?
— Ça fait mal.
Je réfléchis un instant à ce que je viens de dire, puis j’ajoute :
— Je ne veux pas pleurnicher.
Il ricane tristement.
— Tu peux le faire autant que tu veux. C’est mieux que de maintenir cette façade que tu nous as montrée. Laisse-toi aller.
— Quoi ?
Je ne sais plus où j’en suis. Mon esprit est encore embrouillé par la douleur et les sparklies.
— Tu es en deuil. Tu dois nous laisser entrer, Wyn, ou ça va te dévorer de l’intérieur.
— La douleur est à l’extérieur, marmonné-je, remarquant qu’elle semble s’aggraver.
L’eau n’atténue plus la pression comme auparavant.
— Maintenant, oui, mais ce n’est pas de ça que je parle.
Il me caresse doucement le visage, mais je ne suis pas sûre d’aimer cette sensation. C’est trop intime, trop intense.
— Nous aurons cette conversation quand tu iras mieux. Crispin va bientôt arriver, et il pourra te soulager. Ensuite, nous retournerons au palais où tu te reposeras.
— Dormir, c’est une bonne idée, croassé-je, mais sans la douleur.
Un grondement se fait entendre au loin, puis des pas, rapides, et de plus en plus rapprochés.
— Que s’est-il passé ?
— Laissez-moi passer !
— Je vais tuer cette licorne !
Quelqu’un s’agenouille à mes côtés, mais je gémis quand on me touche.
— C’est bon, c’est moi, Crispin.
Sa voix est apaisante, douce, et j’ai envie de m’y enfoncer, de me laisser aller. Mais la douleur m’en empêche.
— Ces brûlures sont graves. Je vais t’endormir pour pouvoir travailler dessus, c’est d’accord ?
Je secoue la tête et gémis sous l’effet de la douleur.
— Non. Pas de sommeil.
Le sommeil apporte des cauchemars. Des souvenirs. Des sensations. Je déteste dormir.
— Arc, viens ici ! Peux-tu la mettre en transe ? La guérison va être douloureuse, et je ne veux pas qu’elle soit réveillée pour ça.
Une main se posa sur mon front, fraîche et chaude à la fois.
— Bien sûr. Wyn, détends-toi. Tout sera bientôt terminé. Laisse-moi entrer, abaisse tes barrières. Il n’y aura pas de rêves, je te le promets. Pas de cauchemars. Rien que du repos.
Avec tous les sparklies dans mon corps, mes barrières sont déjà tombées, mais avant que je puisse le lui dire, je glisse, loin de mon corps, dans un endroit paisible.
Il n’y a plus de douleur.