Wyn a cru que tout ne serait que licornes et arcs-en-ciel une fois qu’elle aurait atteint le palais de sa mère.
Les dernières choses auxquelles elle s’attendait étaient des tentatives d’assassinat, le roi de l’Été se préparant à la guerre et, pire que tout, des robes à froufrous.
Mais tout cela est relégué au second plan lorsque l’un de ses gardiens a besoin de son aide. Ils lui appartiennent. Et elle les protégera, tout en respectant son vœu d’assurer la sécurité du royaume. Quel qu’en soit le prix.
Ce deuxième roman de la série Fille de l’hiver, désormais achevée, est une romance fantastique de type harem inversé, riche de mythologie écossaise, d’hommes alpha sexy et de magie explosive.
Cette série doit être lue dans l’ordre, aussi, si vous ne connaissez pas encore Fille de l’hiver, commencez par La Princesse de l’hiver.
— Crispin ! Si tu ne viens pas ici à l’instant, je vais te transformer en la plus laide stalactite que ce royaume ait jamais vue !
J’ai appris à ajouter « laid » à toutes mes menaces : il ne l’admettra jamais, mais c’est le plus vaniteux de tous mes gardiens.
— Qu’est-ce qu’il a encore fait ? s’enquiert Tamara qui lève le nez du livre qu’elle est en train de lire.
Elle a été l’une des premières à remarquer que je ne ressemblais pas du tout à ma mère, et elle en profite pleinement. Dès qu’elle a un peu de temps libre, ce qui n’arrive pas souvent, elle le passe dans la chaleur de mon salon, à lire près du feu. C’est bien d’avoir un peu de compagnie féminine de temps en temps, même si elle pourrait être ma grand-mère. Je n’ai pas encore trouvé le courage de lui demander son âge. Elle a beau être petite et âgée, elle est féroce et un peu effrayante. Il ne m’a pas fallu longtemps pour comprendre que c’est elle qui tire les ficelles au palais. Tous les généraux avec leurs médailles ne sont que ses marionnettes, rien de plus.
— Vous avez une petite querelle d’amoureux ?
Ses yeux brillent de joie. Elle adore les ragots.
— Regardez ce qu’il a fait à la robe que je dois porter ce soir !
Je lui lance le vêtement et elle l’attrape d’une main. Elle a de bons réflexes pour son âge, c’est certain.
Mara déplie la robe et se met à rire.
— J’aime bien ce garçon. Il a un bon sens de l’humour.
Je soupire d’exaspération.
— Il a fait des trous dans ma robe. Deux trous à deux endroits très inappropriés. Je n’appellerais pas cela de l’humour. Cela relève de la malveillance.
Mara n’en rit que plus fort.
— J’espère que vous allez la porter comme ça au bal !
— Aucune chance.
— Alors, vous lui donnez ce qu’il cherche. Montrez-lui que vous êtes au-dessus de ses plaisanteries. Portez la robe, mais avec quelques modifications, me dit-elle en m’adressant un clin d’œil tout en me conduisant à l’armoire.
Que ma vengeance soit douce.
⁂
Je ne compte plus le nombre de bals que ma mère organise en mon honneur. Ils s’adressent tous à des publics différents : les gardiens, les citoyens, les militaires, les diplomates. Maintenant qu’elle s’est remise de sa tentative d’assassinat, elle est bien décidée à montrer à tout le monde que rien n’a changé, qu’elle est toujours la reine, la mère des dieux, et qu’elle est toujours aussi forte. Cela semble fonctionner ; les rumeurs qui ont circulé dans le palais pendant quelques jours après l’attaque se sont calmées. Je suis ravie pour Beira, même si ce n’est pas vrai. Elle s’affaiblit, et refuse de m’en dire la raison. Elle est très douée pour sauver les apparences, mais lorsque nous sommes seules dans nos quartiers privés, elle laisse parfois tomber les murs qu’elle a érigés.
La tentative d’assassinat l’a fragilisée, mais ce n’est pas tout. Sa magie n’est plus aussi forte, ce qui n’était jamais arrivé auparavant. Je pense qu’au fond d’elle, elle a peur. Pour être honnête, moi aussi. Je l’ai toujours vue comme un être divin inaccessible, et penser qu’elle a des faiblesses me laisse perplexe. Cela la rend plus humaine, certes, mais elle n’est pas censée l’être.
— Veuillez vous lever pour la fille de l’Hiver, la tueuse de démons, l’héritière du trône, Son Altesse Royale, Lady Wynter.
Tueuse de démons, c’est nouveau. Je suppose que c’est l’un des garçons qui a demandé au héraut de le dire. Ils aiment faire ce genre de choses. Je crois qu’ils s’ennuient un peu, et que perturber la routine de la cour leur procure une certaine satisfaction.
J’entre dans la grande salle sous les applaudissements, et je suis tentée de m’en aller aussitôt. Je déteste l’attention dont je fais l’objet lors de ce genre d’événements. C’est déjà assez compliqué de devoir rester assise sur l’estrade, entourée des personnes les plus importantes du royaume et de faire la causette. Beurk. Mais traverser la grande salle du palais, en essayant de ne pas trébucher ni avoir l’air maladroite en arrivant à l’autre bout, c’est de la pure torture. Et ce soir, je n’ai même pas mes gardiens pour me soutenir. Ils ont une sorte de réunion, et ils ne nous rejoindront que plus tard.
Maintenant qu’ils m’ont ramenée en toute sécurité au domaine de ma mère, ils ont commencé à reprendre certaines de leurs anciennes tâches. Ils sont toujours mes gardes attitrés, mais les avoir tous les quatre auprès de moi en permanence serait un gaspillage de ressources. Ils font partie des meilleurs combattants du royaume, après tout, et on les sollicite sans cesse pour transmettre leurs compétences aux plus jeunes gardiens. Je ne sais pas trop ce que j’en pense. D’un côté, je suis heureuse de ne pas avoir d’entourage partout où je vais, et de l’autre, cela me manque de les avoir près de moi tout le temps. Même la nuit, nous sommes rarement tous ensemble. C’est Storm le plus absent, étant le plus haut gradé des quatre. Parfois, il est absent toute la nuit, et il dort le matin quand j’ai des choses à faire.
Nos journées sur la route me manquent. C’était stressant, dangereux, mais j’aimais ça. Aujourd’hui, nous restons dans l’attente, plongés dans les formalités et les intrigues de la cour, faisant constamment l’objet de commérages. J’apprends lentement à me comporter dans ce cadre, mais je commets suffisamment d’erreurs pour amuser les domestiques.
C’est une autre chose à laquelle je n’arrive pas à m’habituer. Ils ont vite compris que je préférais prendre mon bain toute seule. Merci beaucoup. Si je veux de la compagnie, je prendrai un ou plusieurs de mes gardiens avec moi. Je n’ai pas besoin que des femmes de chambre me coiffent ou me préparent mes vêtements, et je ne supporte vraiment pas qu’elles me disent à quel point je suis belle lorsqu’elles me maquillent. Lorsque je regarde dans un miroir, je ne me reconnais pas. Mes traits ont changé, mes pommettes sont plus hautes, mes yeux plus vifs, mes cheveux plus brillants. Je ne suis plus ordinaire, et je déteste ça. Je voudrais redevenir l’ancienne Wyn, celle qui pouvait faire un chignon désordonné et rester en pyjama toute la journée en travaillant sur sa thèse. Ici, je dois porter de jolies robes et me comporter comme une lady. Beurk.
— Avancez, me glisse le héraut.
Je remarque alors que je me tiens dans l’embrasure de la porte, sous le regard des centaines d’invités qui attendent que je m’avance vers l’estrade. Heureusement, ma mère n’est pas encore arrivée. En dépit de nos différences, je recherche son approbation. C’est elle qui sait comment être reine, alors je ferais mieux d’apprendre auprès d’elle à me comporter comme une princesse.
Ignorant les regards et les conversations à voix basse, je traverse la grande salle en gardant les yeux rivés sur la haute table. Du coin de l’œil, j’aperçois quelques personnes qui pointent ma poitrine du doigt. Je suis sûre que Mara me fera un résumé de l’opinion publique. Soit je crée une nouvelle tendance, soit je deviens la risée de la cour.
Au lieu d’avoir les seins à l’air comme Crispin l’avait prévu en faisant deux trous dans ma robe, j’ai maintenant une bande de tissu noir à volants qui fait le tour du haut de mon corps comme un corset trop haut, et qui se termine par un grand nœud doré sur ma poitrine. Les trous servent à faire disparaître la bande dorée dans la robe, lui donnant ainsi un aspect tridimensionnel. C’est fou. Je dois avouer que j’aime beaucoup l’effet produit. Ainsi, je ressemble à un cadeau de Noël qui attend d’être déballé. Plus tard, après la fête, et par mes quatre gardiens, qui, je l’espère, seront bientôt là, pour que je puisse les taquiner toute la soirée.
C’est la première fois que j’arrive à mon siège sans trébucher. Il se peut que je sois en train de devenir une véritable princesse. Dès que je m’assieds, les invités font de même, et reprennent leurs conversations. Certains d’entre eux regardent encore dans ma direction, mais la plupart finissent par être distraits. Aucun des autres invités importants n’est encore arrivé, alors je m’assieds seule, laissant mes pensées dériver. Cela fait maintenant deux semaines que je suis ici et j’ai l’impression que le temps écoulé est à la fois plus court et plus long. Il y a tant de choses à apprendre et à comprendre que, parfois, j’ai l’impression que ma tête va exploser. Certaines règles de la cour sont archaïques et ont désespérément besoin d’être modernisées. L’absence de matériel électronique reste étrange, mais en même temps, leur magie permet de réaliser de nombreuses choses que la technologie n’aurait jamais pu faire. Qui a besoin de Skype quand on peut avoir une conversation télépathique ?
L’air ici est rempli de magie, et la mienne y répond. Elle se renforce chaque jour et devient un peu plus sauvage. Parfois, elle est difficile à contrôler, comme elle était sous l’emprise de l’énergie magique. Les gardiens m’ont dit que cela deviendrait plus facile au fur et à mesure, mais d’une certaine manière, c’est le contraire qui se produit. La plupart du temps, je dois me battre pour la garder à l’intérieur. Elle ressemble à un chaton qui veut jouer avec une pelote de ficelle alors qu’il sait que c’est interdit.
Hier, j’ai accidentellement congelé l’eau de mon bain. Heureusement, il n’y avait personne d’autre que moi dans la pièce, ce qui m’a évité de me retrouver dans une situation embarrassante. Néanmoins, je suis un peu effrayée par la facilité avec laquelle ma magie s’est libérée de mon emprise sur elle et s’est déchaînée.
— Comment vas-tu ce soir, ma chérie ? me demande soudain ma mère qui se matérialise à côté de moi.
Je lui envie cette compétence qui m’aurait évité d’avoir à traverser la salle comme une idiote. Ou comme une princesse, ce qui revient quasiment au même. Je ne suis vraiment pas faite pour la royauté.
— Ça va, je réponds vaguement, puis je reporte mon attention sur la nourriture qui est apparue par magie dans mon assiette.
Je suis toujours en train de m’habituer à toute cette magie. Sur Terre, je devais cacher mes facultés. Ici, non seulement on m’encourage à m’en servir, mais on attend aussi de moi que je le fasse. Les dames de la cour n’utilisent pas leurs mains dans la majorité des cas. Elles se servent de la magie.
Vous voulez vous brosser les cheveux ? Utilisez la magie. Vous maquiller ? Servez-vous de la magie.
Vous essuyer les fesses ? Vous voyez ce que je veux dire…
— Qu’est-ce que tu vas manger ? me demande Beira.
Essaie-t-elle simplement de faire la conversation ou s’intéresse-t-elle vraiment à la réponse ? Je jette un coup d’œil à mon assiette. Des pancakes, des fraises et un tas de crème. De la nourriture réconfortante. Je dois donner l’impression d’avoir besoin d’un câlin. Ou de quatre.
— As-tu besoin de moi pour quoi que ce soit demain ? lui demandé-je à la place. J’aimerais aller explorer les environs.
— Tu veux… Pourquoi pas ? Il faut sans doute que tu connaisses le royaume sur lequel tu règnes. Mais pas sans tes gardiens.
C’est exactement ce que j’espérais. Cela signifie que je les ai pour moi toute seule, pour toute une journée. Pas de politique, pas de trucs ennuyeux, rien que mes quatre hommes et moi. Ce sera comme si nous reprenions la route. Avec un peu de chance, nous rencontrerons moins de danger.
Quand on parle des loups… Crispin et Frost arrivent ensemble, ignorés par les invités qui sont occupés à vider leurs assiettes. Ils me repèrent ; c’est l’inconvénient d’être assise sur l’estrade à la vue de tous. Je leur adresse un signe de la main et un sourire, mais ils continuent à m’observer de loin. Crispin me montre du doigt… ou plutôt, ce sont mes seins qu’il montre.
Je me souviens de ma robe et je souris avec malice. Il a remarqué que j’ai retourné sa plaisanterie contre lui. Pauvre gardien. Il ressemble à un petit chiot triste à qui on a enlevé son jouet préféré. C’est sa punition pour avoir découpé mes vêtements.
— Au fait, j’adore ta robe, ma chérie, me dit ma mère à ce moment.
Je ricane bruyamment, ce qui ne sied absolument pas à une princesse.